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Marie-Thérèse Urvoy

Marie-Thérèse Urvoy

Juin 2015

Extraits du livre Entretiens sur l'islam


Louis Garcia : Bonjour Madame Urvoy. Vous êtes universitaire et professeur en islamologie. Pouvez-vous vous présenter et nous résumer votre parcours ?

Marie-Thérèse Urvoy : Je suis née en 1949 à Damas où mon père était venu en tant qu’officier dans l’armée du Mandat français au Moyen-Orient, avant de passer fonctionnaire de la chancellerie de l’Ambassade de France. J’ai fait mes études secondaires chez les Franciscaines de Marie, en double cursus français et arabe, et supérieures à Damas, Beyrouth, Aix-en-Provence, Bordeaux et Paris I.

Pouvez-vous nous rappeler les principaux textes et références de l’islam ?

Il y a, bien sûr, le Coran. Puis l’ensemble des traditions prophétiques (Sunna), rassemblés dans six corpus canoniques du Sunnisme, auxquels il faut en ajouter d’autres qui jouissent d’une grande autorité dans tel ou tel milieu (par exemple le Musnad d’Ibn Hanbal pour les traditionnalistes). Pour les traditions des imâms chiites, il existe aussi des recueils canoniques, tel le Kâfî de Kulaynî. Sans oublier la Sîra (= « conduite » ; biographie canonique du Prophète) dont l’impact sur l’imaginaire religieux du musulman est considérable. Viennent s’ajouter plusieurs ouvrages historio-graphiques (les « expéditions » du Prophète, les biographies des « Compagnons »...) et surtout certains commentaires exégétiques (tafsîr).

Existe-t-il un seul Coran ? Est-il raisonnable de croire qu’il est la copie exacte du « livre » qui est au Ciel comme beaucoup le disent ?

Au départ il existait plusieurs recensions du Coran. C’est une action politique, menée jusqu’au xe siècle, qui a éliminé cette pluralité et imposé une seule version, appelée la « Vulgate de ‛Uthmân », reconnaissant cependant une certaine pluralité de « lectures » dans la vocalisation et quelques variantes sur des particules, le tout ne portant que sur la forme, non le fond.

Un chercheur tunisien, Mondher Sfar, dans un livre intitulé Le Coran est-il authentique ?, recense les diverses données, tirées des sources islamiques elles-mêmes, marquant des distorsions dans la fixation du texte coranique. Ce sont évidemment des éléments relatifs à la foi, mais non de caractère proprement scientifique.

Certains musulmans prétendent que les mots « islam » et « salam » ont une racine commune et que par conséquent « islam » signifie la « paix ». Est-ce exact ?

La racine est effectivement commune mais cela ne signifie pas l’identité de signification, seulement le déploiement philologique d’une « valeur » de base. Ce déploiement débouche dans des sens qui peuvent être opposés. Voyez la formule adressée, avant la bataille, par le chef des troupes islamiques à l’adversaire lors du jihâd : « aslim, taslam » ; elle signifie littéralement « islamise-toi, tu seras sauf ».

Comment la liberté religieuse est-elle conçue dans l’islam ?

Comme marque de liberté religieuse, on cite systématiquement deux fragments de versets : « Nulle contrainte en religion » (II, 256) et « Quiconque le veut, qu’il croie, et quiconque le veut, qu’il mécroie » (XVIII, 29). Cependant, à cela s’oppose le célèbre hadîth : « Celui qui quitte l’islam, tuez-le », lequel hadîth a pris force de loi avec la peine de mort en principe obligatoire pour l’apostasie. Pour comprendre cette antinomie apparente entre le Coran d’une part et le hadîth et le fiqh (droit islamique) de l’autre, il convient de restituer la totalité de chaque verset. Pour le premier : « Nulle contrainte en religion ! car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. Donc, quiconque mécroit au Rebelle, tandis qu’il croit en Allah, saisit l’anse la plus solide qui ne peut se briser ». Cela permet aux commentateurs classiques tels que Tabarî, Ibn Kathîr ou Suyûtî, de suivre un ordre de conséquence inverse de celui auquel nous pensons spontanément : pour eux, ce n’est pas l’absence de contrainte qui commande l’adhésion à la foi en Allah et le rejet de l’idole (appelée ici « le Rebelle »), mais au contraire l’adhésion à la foi et la distinction du bon chemin qui interdisent d’exercer toute contrainte sur le croyant. Par conséquent, on ne peut forcer un musulman (le seul « croyant » pour le Coran) à quitter l’islam. Quant au second verset, sa totalité est : « La vérité est de votre Seigneur. Croit qui veut, donc ; et mécroit qui veut. Oui, Nous avons préparé pour les prévaricateurs un feu dont les parois les cernent, cependant que, s’ils implorent la pluie, il leur pleuvra une eau de métal fondu rôtissant les visages ; quelle mauvaise boisson et quelle commodité pourrie ! » Dans cette rhétorique exaspérée, caractéristique du Coran (cf. notre étude sur L’action psychologique dans le Coran, Paris, Cerf), la disposition en continu du fragment souvent isolé (« croit qui veut et mécroit qui veut ») et de la violente menace neutralise de fait toute possibilité de choix. En cela les commentateurs classiques ne se trompent pas ; ainsi Ibn Kathîr écrit : « Le segment “Croit qui veut et mécroit qui veut” découle de la menace puisque la suite immédiate est évidente : aux dénégateurs est préparé un feu aux murs très épais ». La codification par le fiqh de la peine de mort pour l’apostat est légitimée par la menace divine dont elle n’est rien d’autre que la transposition sur le plan humain.



A paraître le 15 octobre 2015